Article publié la semaine dernière, sur Birganj. Cette semaine, notre critique de castlevania : Lords of Shadow 2 a été mis en ligne.
Si la scène indépendante est vaste, tant en quantité qu'en diverses qualités, on retrouve souvent les mêmes jeux bien suivis par la presse, grâce à une com' plus aboutie que d'autres. Ce n'est pas forcément gage de qualité mais devant le fourmillement de jeux disponibles, on a tendance à suivre l'actualité, épousant alors un processus de réflexion très proche des jeux industriels : plus de com', plus de suiveurs, plus de ventes. Puis, parfois à force de suivre ses fils RSS, vous tombez sur un article de Factornews rédigeant tout un tas de louanges sur un jeu, le comparant à Rez qui lui même est comparé à Kandinsky... A part le fait qu'il n'y a strictement aucun rapport entre ces trois références, l'article a eu le mérite d'éveiller notre curiosité sur NaissanceE. Un jeu développé par Mavros Sedeño, ancien level-designer chez Darwkorks et Crytek, qui a décidé de se lancer dans son projet personnel, après moult essais et prototypes esquissés pour la première fois sur un mod de Far Cry en 2007, appelé Jeux d'Ombre. Et c'est français !, comme dirait Montebourg.
Black & White
NaissanceE est une aventure exploratrice à la première personne, dans un univers fictif et indéterminé. Tel nos premiers pas dans Portal, intrigués par la multitude de cubes gris sans aucune personnalité ressemblant plus à une prison de designer qu'à un univers crédible, NaissanceE nous fera diriger un personnage féminin, nommé Lucy dont on ne sait et saura rien d'elle. La vue en première personne, sans body awaerness de surcroît, ne nous donne aucune indication. Ce qui compte, c'est que très vite aux travers des yeux de Lucy, ce sera le joueur qui vivra intensément sa course vers la liberté de cette prison constructiviste.
NaissanceE est avant tout un ensemble de tableaux 3D très inspirés du constructivisme : des salles entières où s'empilent les cubes, certains de biais, certains mobiles, d'autres formant des colonnes aériennes, certains tellement immenses qu'ils créent différents étages. Le tout est uniquement en noir et blanc, parfait pour mettre en valeur la forme globale et le tracé des arrêtes de ces tableaux. Le noir et blanc permettant de jouer du contraste pour dans un premier temps, impacter de la richesse visuelle de ces architectures où le joueur tournera sans cesse la tête à 360° pour prendre la pleine mesure du travail de modélisation. Là où c'est intéressant c'est que la diversité des compositions rend chaque nouvelle salle ou couloir impressionnant, grâce à un mélange de minimalisme de certaines salles, allant jusqu'à l'abstraction en donnant une place importante à la lumière, jouant ainsi sur les ombres portées, mais aussi éblouissant les salles jusqu'à créer des niveaux de blanc immaculé que ne renierait pas un Carré blanc sur fond blanc de Malevitch. Parfois on tombera aussi dans le noir le plus complet attiré par la faible émission lumineuse à l'horizon... Parfois, seuls les éclairs de lumières révéleront le niveau l'espace d'une seconde, toujours construit avec rigueur.
Se balader dans les niveaux de NaissanceE, dont l'ampleur écrase le joueur-spectateur l'obligeant à lever les yeux au ciel a le même effet, le même intérêt que de se plonger dans une composition graphique. C'est à dire que l'environnement est si carré, si maîtrisé, et aussi si froide tel un objet inanimé que le temps s'arrête et transforme ce joueur en spectateur introspectif. Ébahi par la dimension de ces constructions graphiques, amplifié par un silence switchant subtilement avec une musique électro douce, au rythme régulier berçant le joueur sous hypnose totale, le spectateur se perd dans ces découvertes visuelles.
Beauté fatale
Mais là où tout se dégage l'inventivité, ou la frustration, nous y reviendrons, c'est que NaissanceE n'est pas là pour nous chaperonner comme un Flower. Il faudra avancer salle par salle, couloir par couloir, soit en jouant de la plate-forme sur différents niveaux afin de trouver une sortie dans ces amas de cubes labyrinthiques, faire attention à ne pas se laisser perdre (mention pour l'escalier infini qui vous oblige à relancer le dernier checkpoint après x minutes à avancer dans le vide), et aussi résoudre des énigmes. C'est là que le jeu se corse. Ce qu'on reprochera avant tout c'est l'incohérence et l'absence de lien entre les énigmes. Elles se jouent avec la lumière, mais si on comprend vite le premier jeu d'ombres où l'obscurité révèle les passages et la lumière révèle les plate-formes, on arrive vite à être perdu à cause d'un manque de renouvellement intelligent de ces énigmes. Par exemple, le jeu est régulièrement ponctué de cubes lumineux. Vous allez essayer d'aller dessus et il ne se passera rien... Jusqu'à ce qu'une énigme vous oblige à en faire bouger une planquée sur un côté. Le joueur devant comprendre les règles et mécanismes de son environnement, il ne comprendra pas instinctivement pourquoi un bloc décide d'être interactif sur telle zone et pas ailleurs. En cause aussi les séances de plate-formes où certaines scènes impliquant le vent, ce dernier ayant une fâcheuse tendance à se déclencher n'importe comment et pas synchro entre l'image et le son. C'est à dire que quand vous attendez que les rafales cessent d'être visible, le vent s'est coupé avant, ce qui bouscule les repères du joueur dans son avancé où les checkpoints ne sont pas toujours bien placés (surtout quand elles nous obligent à nous taper des longues scènes à attendre qu'un script de plate-forme se déclenche, par exemple). On notera un manque de visibilité sur certaines séquences où vous devrez courir, avec parfois des détours à plus de 45° sans crier gare et sans alerte. On se tape ainsi des séances de die and retry qu'on a beaucoup de mal à situer vis à vis des premières sensations dues à la découverte des lieux.
L'idée du jeu étant justement de jouer sur le contraste entre le temps de découverte et la pression mortelle des séquences de jeu à venir. Petit à petit, le stress devient de plus palpable, notamment grâce à une jolie idée de gérer la respiration du personnage. Quand l’héroïne court, de petits cercles symbolisant son souffle apparaissent, au joueur de cliquer à temps pour reprendre son souffle lui permettant de courir très longtemps. Indispensable sur la fin. Le bruit de respiration, de suffocation s’immisce dans l'approche du joueur. Ajoutons à cela une caméra qui tangue bien lors des courses, les plates-formes loin d'être cleans avec beaucoup de rebords nécessitant des efforts pour maintenir son équilibre pendant des sauts, font que NaissanceE devient vite tendu. Avec en prime, cette vicieuse capacité à induire en erreur le joueur sur la fin de son périple, qui s'étalera au final sur 5 bonnes heures, les crises arrivent. Même si les crises sont aussi provoquées par un petit manque de précision sur la gestion des collisions entre les cubes surélevés, et une héroïne qui manque d'allonge dans ses sauts.
Le vrai reproche de NaissanceE est clairement l'absence de contexte et de cohérence. Les énigmes, où l'on passe de jeux d'ombres, à des runs, puis des équilibres, puis des épreuves d'orientation, puis de la plate-forme aérienne, avec des règles de la physique qui changent trop (vents, inertie et même vers la fin, l’apesanteur) n'aident pas à entrevoir une démarche plus consistante que d'illustrer un labyrinthe de la folie. On aurait aussi aimé un minimum de but à atteindre, mais la fin hélas, qui n'en est pas une nous laissera sur notre faim et manque un peu de raisonnement. Le but du jeu n'étant évidement pas d'être terre à terre mais parcequ'il manque de rappels, via le gameplay, ou les codes visuels, ou les scènes, il nous empêche de voir une cohésion à ce qui veut être dit. Et c'est dommage car l'accès au dernier chapitre est très fort dans l’exécution. Ça aurait été plus fort encore si on y décelait quelque chose de plus réel qu'une vague sensation de démence, ou de quête de liberté inaccessible des plus pessimistes.
On retiendra NaissanceE surtout pour le voyage sensoriel qu'il procure : visuellement parfait, musicalement trompeur (les mélodies de confort apportent toujours des énigmes tordues, quand les plus tendues servent à maintenir le joueur sous pression), remettant en cause notre sens de l'orientation où le sol devient plafond, ou la lumière devient obscure et vice versa. On sera cependant déçu d'un manque de cohésion en matière de gameplay, qui ne sait pas vraiment où se placer. Avec des scènes bien rapides pouvant rappeler Mirror's Edge, des énigmes labyrinthiques rappelant Portal et des longues marches introspectives rappelant Journey, difficile de savoir où le créateur veut en venir. Et c'est bien dommage qu'il manque juste un partis-pris fort en terme de game design pour atteindre une création exceptionnelle. NaissanceE n'en reste pas moins une expérience sensorielle puissante qui vous marquera par sa perversion assumée.
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(Re)lire l'article, mis en page, sur PG Birganj : en Une ou dans la rubrique "Critiques".